j'ai publié un plaidoyer pour un droit-guide de la réconciliation. L'objectif principal de mon projet était de plaider pour que les parties concernées par les violations des droits humains, intéressées par le dialogue et la réconciliation, puissent jouer un rôle important elles-mêmes en vue de la résolution des différends qui les opposent. Cela, en participant activement à la justice pour aider aussi les services ordinaires de celle-ci à remplir leur mission.
En créant ce projet, j'étais notamment inspiré par le fait de constater qu'une décision judiciaire ne satisfait pas toutes les parties au procès, même après avoir épuisé toutes les voies de recours et partant, ne résout pas leur conflit. Certaines personnes ayant perdu confiance en la justice vont jusqu'à se rendre justice elles-mêmes. D'autres veulent se réconcilier mais n'y arrivent pas pour plusieurs raisons : manque de systèmes sociaux qui facilitent la réconciliation – des instances habilitées - parce qu'il n'existe pas de législation en la matière ; manque d'intérêt, d'informations, de formations et de connaissances sur le pardon et la réconciliation, etc. Pourtant, on s'accorde à affirmer, avec raison, que le dialogue et le pardon sont des chemins qui mènent vers la paix, en cas de violations des droits humains ! Mais qu'est-ce que le pardon ? Comment pardonner ou demander pardon et pourquoi ? Où peut-on trouver une formation en cette matière dont tout le monde a tant besoin ? Je proposais donc la création des instances de dialogue, de réconciliation mutuelle, et d'échange de paix, qui seraient compétentes pour résoudre les conflits résultant de toutes les infractions, à tout moment et à tous les degrés de la procédure judiciaire, par les parties elles-mêmes qui en ont la volonté. Et pourquoi pas aussi des instituts ou centres de formation sur le pardon ?
La justice restauratrice belge
Trois ans après la publication de mon plaidoyer, le 22 juin 2005, a été adoptée la loi belge introduisant des dispositions relatives à la médiation dans le titre préliminaire du code de procédure pénale et dans le code d'instruction criminelle. Un nouveau système de règlement des conflits qu'on appelle "justice restauratrice" a vu le jour en Belgique. Je n'étais donc pas le seul à constater les défaillances de la justice classique et à vouloir des innovations !
Cette loi a offert la possibilité de recourir à une médiation aux personnes ayant un intérêt direct dans le cadre d'une procédure judiciaire, conformément aux dispositions légales y afférentes. Elle définit la médiation comme un processus permettant aux personnes en conflit de participer activement, si elles y consentent librement et en toute confidentialité, à la résolution des difficultés résultant d'une infraction avec l'aide d'un tiers neutre, le médiateur, s'appuyant sur une méthodologie déterminée.
La médiation a pour objectif de faciliter la communication et d'aider les parties à parvenir elles-mêmes à un accord concernant les modalités et les conditions permettant l'apaisement et la réparation (art.2). Des médiateurs formés, indépendants et neutres, assurent cette mission. Que cette justice réparatrice puisse donc être instaurée aussi dans d'autres pays.
Nous verrons dans les lignes suivantes comment, à travers cette justice restauratrice qui s'opère par la médiation, le dialogue et la réconciliation authentique sont désormais possibles pour les personnes séparées par les conflits, même les plus graves, c'est-à-dire l'auteur de l'infraction et la victime.
Dix ans après la publication de ce plaidoyer, mon message reste toujours d'actualité !
Comment la réconciliation est-elle possible par la médiation ?
"La médiation, en impliquant les parties dans la recherche d'une solution, permet de rétablir la communication entre elles et par là même d'atténuer les tensions existantes. Une fois la communication rétablie, le processus de médiation permet de favoriser un rapprochement des points de vue et de parvenir au mieux à une réconciliation des parties ou tout au moins à la reconstitution de nouvelles relations pour l'avenir."<!--[if !supportFootnotes]-->[19]<!--[endif]-->
Dans les lignes précédentes, j'ai présenté la médiation telle qu'elle est définie par la loi belge du 22 juin 2005. Mais, comment la médiation restauratrice s'opère-t-elle concrètement ?
Il faut rappeler que la médiation restauratrice est mieux pratiquée aux États-Unis et au Canada (culture d'une vie en communauté) plus que dans quelques rares pays européens (culture de l'individualisme). Elle est malheureusement méconnue dans les pays africains secoués par les conflits et la crise des droits humains (conflit entre les modes de vie en communauté et la culture de l'individualisme).
En Belgique notamment, il existe deux associations reconnues légalement qui s'occupent de la médiation dans le cadre de cette loi précitée. Il s'agit de la "Médiante" pour la communauté francophone et la "Suggnomé" du côté néerlandophone. Même si toute infraction porte atteinte à l'ordre public et lèse donc la société, elle reste avant tout une affaire touchant d'abord les individus qui sont les premiers concernés par le conflit. Ce sont ces derniers qui auront un grand rôle à jouer pour que la société retrouve la paix. Voici un récit qui peut montrer comment la réconciliation est possible à travers la médiation.
Un certain soir, Pierre et son copain Marc entrent dans la librairie de monsieur Johan et lui demandent de leur remettre l'argent de sa caisse avec des menaces de mort s'il refusait d’obtempérer. Johan commence alors à se défendre et dans cette bagarre Pierre sort un couteau de la poche de sa veste et poignarde le libraire qui s'écroule par terre. Les malfrats prennent la fuite en emportant tout le butin. Johan est gravement blessé. Il sera soigné et, après quelques semaines, il sort de l’hôpital. Il commence alors le procès contre ses agresseurs qui furent condamnés à 15 ans de prison pour tentative de meurtre et vol avec violence.
Après quelques années derrière les barreaux, Pierre disait tout le temps à son ami qu'il regrettait fort ce qu'ils avaient fait et qu'il désirait rencontrer sa victime Johan pour lui présenter ses excuses. Son ami Marc ne voulait pas entendre parler de ça et l'en dissuadait parce qu'ils avaient interjeté appel contre leur condamnation. Mais la conscience de Pierre n'était pas tranquille. Il décida de soumettre sa demande aux responsables de la prison en vue de pouvoir rencontrer un médiateur pour le mettre en contact avec Johan. Celui-ci accepta cette rencontre parce qu'il voulait aussi connaître les vrais motifs qui étaient derrière l'attaque dont il avait été victime.
La première rencontre fût très difficile. Johan était très fâché et ses émotions étaient tellement fortes que le médiateur a décidé de suspendre le processus de dialogue. Deux mois plus tard, c'est Johan qui a demandé au médiateur une nouvelle séance de médiation. Cette fois-ci le climat était plus calme. Pierre, sans vouloir se disculper, raconta tout ce qu'il n'avait pas dit à son avocat et au tribunal. En fait, les agresseurs avaient préparé l'attaque quand ils étaient dans un bistrot où ils partageaient un verre ensemble. Johan comprit que son agresseur était sincère et que l'alcool avait joué aussi son rôle. Pierre, les larmes aux yeux, demanda pardon à Johan en insistant qu'il regrettait fort son acte. Il voulait aussi terminer sa peine derrière les barreaux mais souhaitait qu'à la sortie de prison, Johan ne le verrait plus comme un tueur ou un bandit. Il ne faudra plus avoir peur de moi, lui dit-il. Il s'était repenti. Il promit au médiateur qu'il allait payer vite le montant de sa condamnation dès sa libération. Johan avait obtenu des réponses à toutes les questions qu'il lui avait posées. Il se sentait un peu apaisé mais garda une petite rancune qui l'empêcha de lui pardonner.
Après sa libération conditionnelle, Pierre eut la chance de trouver vite du travail. Avec son salaire, il commence à payer l'indemnisation à laquelle il avait été condamné. Il avait arrêté de boire de l'alcool et n'allait plus dans les bistrots. Lorsque Johan constata que Pierre avait pris de bonnes résolutions qui n'avaient même pas été ordonnées par le juge, il demanda au médiateur de les inviter à une nouvelle rencontre pour exprimer lui aussi son pardon. Devant le médiateur, ils conclurent ensemble un accord comportant pour chacun ses engagements.
Depuis ce jour, Pierre pouvait maintenant entrer dans la librairie de Johan. Et quand les clients de celui-ci qui connaissaient l'affaire voulaient le chasser de la librairie, c'était Johan qui s'interposait pour le défendre en disant : "laissez mon ami tranquille"! Lorsque les gens du village apprirent que Johan s'était réconcilié avec Pierre, ils n'osaient rien dire. Le conflit avait été résolu par les premiers intéressés et la paix était revenue au village. C'est cela que j'appelle la réconciliation authentique.